A l'heure où beaucoup critiquent des footballeurs au caractère trop plat, Joey Barton se lâche sur le second réseau social depuis plusieurs mois. Le capitaine de QPR approche même les 900 000 abonnés. Il est un criminel plusieurs fois condamné qui s'est réinventé sur Twitter. Mais ses tweets font-ils de lui un philosophe en herbe ? Telle est la question que se posait Tom de Castella de la BBC en aout 2011.
Pour beaucoup, Joey Barton dépasse les bornes. Un joueur de football dont l'histoire est teintée par la violence, qui a écrasé un cigare allumé dans l'oeil d'un de ses coéquipiers et a été emprisonné pour avoir frappé un inconnu plus de vingt fois à l'occasion une soirée. Mais pour les autres, le joueur de Newcastle [depuis transféré aux Queens Park Rangers] ne s'est pas seulement assagi ces derniers temps, il s'est également réinventé sur Twitter comme un sportif philosophe, comme le fut le Eric Cantonna des beaux jours.
Au dernier décompte, @Joey7Barton avait près de 450 000 abonnés [à ce jour, il en compte presque le double]. C'est presque moitié moins que Wayne Rooney, mais Barton tweet sur des sujets bien éloignés des préoccupations banales du traditionnel joueur moderne.
Il a débattu des fondements idéologiques de la Big Society [le concept phare des conservateurs lors de leur victoire aux élections britanniques de 2010, qui entend remplacer l'action de l'Etat par des initiatives locales], a révélé sa passion pour les vers de The Smiths, exprimé son admiration envers l'ingénieur Isambard Kingdom Brunel [l'un des pionniers du transport ferroviaire en Grande Bretagne au XIXe siècle], et a partagé les aphorismes de Virgile, Sénèque et Nietzsche. [...]
Récemment, il a donné un coup de main à une pétition afin de forcer le gouvernement à publier des documents officiels sur le désastre de Hillsborough [en 1989, une bousculade à l'occasion d'une demi-finale de Coupe d'Angleterre entre Liverpool et Nottingham Forest avait fait 96 victimes parmi les spectateurs], en encourageant de nombreuses célébrités à la signer et à la retweeter. Ses tweets en réaction aux émeutes [en août 2011] furent aussi beaucoup mis en lumière par les médias.
Pour certains, les énoncés de Barton suggèrent qu'il a changé depuis le personne qui donna des coups de poing à son coéquipier Ousmane Dabo en une autre qui a pris conscience de ses problèmes et du besoin de leurs trouver une solution. A une époque où les gens - dans le sillage des émeutes - se demandent s'il est possible ou non et surtout comment assagir ces vauriens, Barton est un exemple fascinant. D'autres demandent encore à être convaincus que Barton a changé, en faisant contraster son apparence gentillesse sur Twitter avec le fait qu'il a été impliqué dans des bagarres dans les deux matchs de Premier League qu'il a joué cette saison.
Le journaliste du Daily Telegraph Henry Winter fut l'un des premiers à tomber sur Barton sur Twitter quand des rumeurs sur son départ de Newcastle ont commencé à circuler : "C'était la période où Joey Barton publiait beaucoup de citations de Georges Orwell, donc je lui ai souhaité bonne chance on the road to Wigan Pier [clin d'oeil au livre d'Orwell publié en 1937 "Le quai de Wigan" en Français]. Si Barton a apprécié la référence à Georges Orwell, tout le monde n'a pas compris le jeu de mot. Une poignée de fans de Newcastle lui demandant même par Twitter pourquoi il s'engageait avec Wigan. Même si certains peuvent trouver difficile de pardonner Barton pour son comportement du passé. Mais sa philosophie Twitter est saluée, Winter pense même "Même si tu n'es pas d'accord avec ce qu'il dit, c'est un mec brillant qui tente de faire face à ses démons". Il est facilement sujet à la dépendance, et il vaut mieux "qu'il se lâche sur Twitter" plutôt qu'aller boire, ajoute le journaliste de The Independent.
En 1995, Cantona amusait les gens, mais les rendait aussi perplexes dans la même proportion lorsqu'il s'était rendu à une conférence de presse afin d'expliquer son kung-fu sur un spectateur par une simple phrase devenue célèbre "Quand les mouettes suivent un chalutier c'est qu'elles pensent qu'on va leur jeter des sardines". Pour Tim Adams, auteur d'une biographie de John McEnroe (On Being John McEnroe), Barton ramène dans le football ce même niveau de surréalité : "La Premier League manquait d'un roi philosophe depuis que Cantona a fait ses adieux. J'aime la manière dont la boite à sagesse Barton alterne facilement entre les grandes pensées canoniques de la civilisation occidentale et les déclaration du style OMG"
Le fait qu'il soit écouté comme le nouvel intellectuel publique apparaît comme un changement surprenant à première vue. C'est le même homme qu'un juge a un jour décrit comme "lâche et violent". Mais après son séjour en prison, il s'est fait soigné à la Sporting Chance Clinic et a juré ne plus boire. Cette clinique a été fondée par l'ancien footballeur Tony Adams, qui a fait face à son alcoolisme en se mettant au piano et et lisant les romans de Thomas Hardy. Barton est actuellement dans cette même phase de réinvention de lui-même. "Vous pouvez entendre la rhétorique d'auto-assistance de la clinique dans chacun de ses tweets" déclare même l'ancien défenseur d'Arsenal.
Ilest facile de se moquer, dit pour sa part Simon Kuper, le chroniqueur du Financial Times et auteur de The Football Men, mais Barton devrait être applaudi pour aller à l'encontre de la tendance anti-intellectuelle de la culture footballistique anglaise. Barton n'est peut-être pas un grand intellectuel, mais les joueurs anglais - contrairement à leurs homologues écossais, allemands et néerlandais - n'ont aucune envie ou même possibilité d'apprendre une fois qu'ils ont signé dans un club. En effet, Barton est un autodidacte, il s'est instruit tout seul. Et s'il dit parfois des choses farfelues "C'est inspirant qu'il veuille partager ses connaissances. La plupart d'entre nous l'avons fait à l'université, affirmant avec confiance des choses qu'ont avait en réalité pas totalement compris. Il fait de même, juste avec beaucoup plus d'audience sur Twitter".
L'expert et ancien international écossais Pat Nevin est d'accord, il y a toujours une petite place pour un débat intellectuel dans l'atmosphère virile des vestiaires. Quand il jouait lui même à Chelsea [à la fin des années 1980], il essayait tant bien que mal de rameuter ses coéquipiers dans le South Bank de Londres [zone de la capitale anglaise contenant de nombreux musées, théâtres et salles de concert] pour des manifestations culturelles. En récompense, ses coéquipiers, perplexes, lui ont même donné le surnom de "weirdo" [bizarre]. Il exprime sa sympathie envers tout joueur qui voudrait élargir son horizon intellectuel, mais le chahut provoqué par l'érudition nouvelle de Barton le laisse de marbre : "Lâche t'il seulement les citations ou comprend t'il réellement les arguments des philosophes et des ingénieurs ?". Nevin pense que Barton n'aura pas de problème pour trouver un emploi quand il raccrochera les crampons "Dans l'état actuel des médias, Joey Barton est exactement ce que recherchent les grandes entreprises. Robie Savage [l'ancien international gallois tout juste retraité] lui ressemble beaucoup et s'insère parfaitement dans l'esprit du temps. Je soupçonne que Joey fasse de même".
Tom de Castella est un journaliste indépendant et écrivain britannique, qui collabore avec le site web de la BBC (d'où cet article est issu, le lire en VO), le Sunday Times et le Financial Times.
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